Evolution

En attendant Darwin...


Avant propos

Aujourd'hui encore, l'évolution est une idée qui voit subsister une pléthore de détracteurs en tous genres. Depuis 1859, la question n'a toujours pas perdu son poids ni son côté sulfureux. La plupart des mythes de la création, loin de se limiter au fabuleux, contiennent aussi les bases morales des sociétés qui les adoptent. Le sentiment de menace vient de ce que la brèche provoquée par l'irruption de la science sur ces questions de l'origine peut paraitre menacer l'édifice tout entier.

En effet, sur cette question où se mêlent science, philosophie ou religion, la perception de la "création" varie avec les lieux et les âges. L'idée d'évolution dans sa signification actuelle prends forme avec Darwin, mais l'idée de la transformation des êtres vivants s'est organisée progressivement au cours du siècle des lumières et des travaux d'histoire naturelle de classification qui préoccupaient beaucoup les savants à partir de cette époque. C'est dans ce contexte fertile en débats sur la diversité du vivant, de sa variation et de la question émergente de l'hérédité qu'est née la théorie darwinienne. Voici une fresque rapide de la profusion scientifique autours de ces questions...

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Introduction



Double Hélice d'ADN.

Si l’idée d’évolution biologique est souvent d’emblée associée à Darwin, ce dernier n’en est pas le découvreur, contrairement à ce que l’on en pense. D’autres avant lui avaient déjà spéculés sur l’idée d’un monde vivant non fixé. En revanche, il s’agit de la première personne à avoir accumulé suffisamment de preuves et d’arguments pour la valider sur le plan scientifique (et ce point n’est pas négligeable, auparavant, l’évolution pouvait n’être qu’au mieux une hypothèse d’ordre philosophique). Il est également le premier à avoir proposé un mécanisme explicatif de l’évolution : la sélection naturelle, et c’est en cela qu’il innova et révolutionna les sciences biologiques. Il eut en outre de nombreuses autres intuitions en ce domaine, en général avérées par la suite, et c’est ce qui en fait un grand biologiste, sinon le plus grand.


Divers concepts et leur ascendance...

L’évolution ne tarda pas à être largement admise par les naturalistes et biologistes dans les décennies qui suivirent la publication de « l’origine des espèces » (en 1859). Le point qui a été le plus disputé à Darwin par ses collègues scientifiques ne fut finalement pas tant l’idée d’évolution en soi, que le mécanisme proposé --la sélection naturelle. Le point faible du Darwinisme originel a été de manquer d’une théorie de l’hérédité, ce qui a concentré tous les débats en biologie par la suite et ouvert la voie à d’autres hypothèses avancées pour rendre compte de l’évolution des êtres vivants. Il en résulte que le phénomène de l’évolution n’a pas été longtemps un débat scientifique, contrairement à ce qui s’est passé au sujet de l’hérédité, tandis qu’aujourd’hui demeure encore quelques questions autours des forces qui façonnent l’évolution de la vie.

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Au sujet de l'évolution...


Le créationisme


La création d'Adam, par Michelange.

La position créationniste repose sur le fixisme, c’est à dire l’idée que les espèces sont immuables. Cette idée s’était imposée à la lumière de la création : si les espèces sont immuables, elles ont dû être créée à l’origine, et ainsi que nous l’enseigne la Génèse (dans le monde chrétien), par le créateur. Mais cette conception fixiste n’avait pas toujours été aussi répandue : elle s’est construite sur la base de la réfutation des mythes et des idées reçues qui circulaient au Moyen-Âge sur la transformation et la génèse des monstres ou des animaux sous l’influence d’irrégularités dans la nature. Ces légendes (pour ainsi dire, les premières légendes urbaines) étaient véritablement folkloriques, comme celle qui voulait qu’un œuf de poule couvé par un crapaud donne naissance à un Basilic, créature démoniaque par excellence. Ces histoires fabuleuses étaient nombreuses, et une d’entre elles au moins a longtemps perduré, celle de la génération spontanée (dans sa forme extrème, la croyance que les êtres vivants complexes pouvaient être créés spontanément). Il a progressivement fini par être admis que la constance des espèces était un phénomène réel, ce qui a conduit au fixisme, qui s’intégrait parfaitement dans le cadre d’un mythe comme celui de la Génèse, dans lequel les espèces sont créées une bonne fois pour toute.

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Ses difficultés de plus en plus nombreuses


Protea

Cependant, avec l’essor des sciences naturelles lié aux progrès scientifiques et géographiques du siècle des lumières, et en particulier dans la fièvre de la collectionnite et des spécimens, la systématisation de la nécessité de classer et répertorier le monde, les premières brèches apparurent. Tout d’abord, ce furent les difficultés pour classer les espèces et variétés similaires, ou encore la sélection de variétés horticoles qui semèrent le trouble, en particulier chez les botanistes et jusqu’à Linné lui même, pourtant résolument fixiste. Puis, avec le développement de la géologie et la naissance de la paléontologie, les questions se précipitèrent. Il devint de plus en plus évident que le monde n’avait pas toujours été ce qu’il était, que sa faune et sa flore avaient été profondément différents en d’autres temps.


Protea

Les différences se sont accentuées dans l’acceptation de la ‘Création’. Par exemple, Cuvier croyait fermement en une création unique, avec des extinctions de certaines espèces, tandis que Agassiz, son étudiant, a fini par être convaincu devant la disparité des faunes fossiles et de leur stratification, qu’il y avait eu des périodes séparées par des extinctions suivies de créations de nouvelles faunes et flores. Il se préparait une transition entre l’idée d’une création unique et celle de créations multiples. Mais le fixisme prévalait encore en tant qu’idée scientifique.

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Le transformisme de Lamarck


Protea

Cela dit, le transformisme, c’est à dire l’idée que les espèces ne sont pas immuables ont parfois fait l’objet de discussions de façon récurrente. Une des premières théories à postuler l’idée d’une transformation des espèces au cours du temps, au delà d’une simple spéculation philosophique, fut celle de Lamarck. La théorie de Lamarck résidait dans l’idée de la génération spontanée, les êtres vivants étant continuellement renouvelés sous l’apparition de formes simples, puis suivaient une transformation progressive, naturellement et intrinsèquement doués d’une tendance au progrès -la scala naturae, l’échelle de progrès et de complexité croissante entre les êtres vivants est prépondérante dans la théorie lamarckienne. Cette transformation se faisait en fonction d’une loi d’usage et de non-usage à l’échelle de l’individu, dont les descendants en recevait l’héritage (hérédité des caractères acquis). De fait, l’hérédité selon Lamarck est fortement influencée par la vie des individus, c’est à dire par l’environnement qu’ils rencontrent au cours de leur existence. L’ensemble des conceptions de Lamarck ont été montrées incorrectes par la suite, ce qui n’enlève pas à sa théorie l’honneur d’avoir été la première à postuler clairement et distinctement l’évolution des êtres vivants.

Le Lamarckisme a été un pavé dans la mare du fixisme, mais n’a néanmoins pas convaincu immédiatement grand monde, probablement en raison d’une argumentation vigoureuse et convaincante d’un adversaire farouche, Cuvier. Cependant, l’abandon n’a été que provisoire : ces idées ont longtemps influencé la biologie (y compris Darwin qui a finalement opté pour l’hypothèse d’hérédité des caractères acquis), et certains courants reprennent parfois cette théorie. Ils représentent le « Néo-Lamarckisme », qui est un mélange de théories diverses qui se caractérisent par un critère : celui de penser que le milieu influence directement les caractéristiques des êtres vivants et que les caractères ainsi acquis sont héréditaires (ce qui n’est somme toute qu’un sous-ensemble de la théorie initiale de Lamarck).

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La théorie de Darwin

La théorie de Darwin voit le jour dans ces circonstances d’une époque qui veut que l’on se pose des questions toujours plus embarrassantes pour un mythe tenu pour vrai. L’accumulation des connaissances sur les faunes exotiques entrait en contradiction flagrante avec le mythe de l’arche de Noé. Celle des fossiles avec la Génèse. Bref, on sentait de plus en plus de contradictions entre le dogme religieux prévalant et la réalité et la richesse du monde vivant qui s’ouvrait à l’investigation scientifique.


L'homme par qui le scandale est arrivé... Darwin est sans aucun doute le plus grand naturaliste qui ait jamais existé.
Ses interrogations, sa réflexion et sa logique implacable, son souci d'exhaustivité et d'argumention, sa curiosité et
sa connaissance de la nature font de lui un auteur très agréable et surtout indispensable à lire.
Darwin a commencé très tôt à montrer un vif intérêt pour les sciences naturelles, au détriment d'études médicales
puis théologiques qui s'étaient socialement imposées. Aussi, l'occasion de s'embarquer pour un voyage sur le Beaggle
autour du monde de 1831 à 1836, en tant que naturaliste, était la conséquence naturelle d'une passion à laquelle tout
semblait déjà sacrifié... Son retour confirme ses talents d'observation, et il poursuit divers travaux sur les plantes
et les animaux, mais cette période est surtout le temps de la maturation de son grand projet : publier cette théorie
biologique qui se construit peu à peu à travers ses travaux successifs. Devant les découvertes et le travail d'un
confrère, Wallace Russel, qui souhaite également proposer les mêmes conclusions de son travail, Darwin va précipiter
la publication de «L'origine des espèces» en 1859, livre dans lequel il propose l'idée que les êtres vivants
ont une origine commune et divergent les uns des autres généalogiquement par des modifications progressives grâce à
la sélection naturelle qui retient les plus aptes à survivre. L'onde de choc secoue tout un monde abrité dans
l'enceinte du fixisme et du créationnisme (même si la majorité des naturalistes y ont trouvé une réponse
à la diversité des faits auxquels ils étaient eux mêmes confrontés). Mais Darwin a également produit un travail
impressionnant, sur les cirripèdes, les lombrics et les orchidées...


La théorie initiale repose sur l'observation d'une variation générale des organismes dans la nature, et de la nécessité d'une lutte pour la survie impliquée par la croissance démographique des populations et la limitation des ressources disponibles. Darwin postule donc l'existence de la sélection naturelle, qui repose sur l'idée que les individus les mieux adaptés du fait de leurs caractéristiques propres sont ceux qui se reproduisent le plus. Si les exemples qu'il a recueilli sont nombreux, et malgré une argumentation aussi basée sur les preuves indirectes (géographiques, fossiles et développementales), le point faible de la théorie reposait sur le problème de l'hérédité. Darwin avait fini par admettre l'hérédité des caractères acquis au sein de sa théorie. C'est d'ailleurs sur la question de l'hérédité que sera livrée la bataille scientifique du siècle suivant, avec la redécouverte de la génétique mendélienne, avant que cette dernière ne soit intégrée dans la version moderne de la théorie léguée par Darwin : le néo-darwinisme, également appelé Théorie Synthétique de l'Evolution.

Darwin n’est ni l’inventeur ni le découvreur de la notion d’évolution, mais a considérablement contribué à son acceptation en tant que théorie scientifique, d’une part en accumulant des preuves et des exemples documentés, d’autre part en proposant un mécanisme reconnu aujourd’hui encore comme très important, la sélection naturelle. L’idée d’évolution était dans l’air du temps. S’il n’y avait eu Darwin, quelqu’un d’autre aurait fini par formuler l’hypothèse. Wallace en est l’exemple même. D’ailleurs, dans le milieu scientifique, l’idée d’évolution a vite été acceptée. Aujourd’hui, cette notion n’est pas remise en cause et tient toujours la route sur le plan scientifique. Seules quelques personnes la conteste, souvent par ignorance, souvent aussi dans l’intention délibérée de manipuler autrui et de le tromper. En fait, le véritable débat après Darwin, en sciences, cela a été le débat sur l'hérédité.

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Copyright © Laurent Penet 2006.