Carnets Mythologiques

La vie palpitante du géant Hiro...


Hiro, Hina, et l'Anguille Géante

(Ou: "Comment les hommes ont obtenu le droit de manger des noix de coco")

Apparemment, il n'y avait pas de cascades du temps de Hiro et Hina...

A l'époque, Hiro et Hina (pour donner un petit air linguistique polynésien, bien aspirer le 'h' pour un maximum d'effet), étaient des dieux polynésiens heureux et presque sans soucis, et vivaient à Tahiti. Je dis bien presque, parce qu'ils avaient l'inconvénient d'être géants (c'est curieux quand même cette manie des dieux d'être aussi grands, en général). Du coup, ils avaient grand faim et grand soif. Démesurément faim et soif. Le mari part donc à la chasse, et l'épouse va chercher l'eau (qui saurait prodiguer eau plus rafraîchissante et apaisante?). Chacun part de son côté, tagada tsoin tsoin...

Or, à marcher dans la forêt, Hina rencontre l'Anguille Géante, ce qu'on appelle dans le langage courant un démon. "-Et où vas tu, charmante Hina? -Je cherche désespérément de l'eau... -Embrasse moi sur la bouche, et tu obtiendras l'eau et la chair de mon corps!" (cette traduction n'engage que son auteur, qui ne s'écarte toutefois pas des masses de la légende originale/ originelle). Hina, qui n'est pas sotte, ignore la bête et poursuit son chemin. Elle continue longtemps de chercher de l'eau, mais n'en trouve vraiment pas. Alors elle retourne voir l'anguille et après quelques hésitations pourtant bien fondées, finit par embrasser le démon (par chez nous, c'est plutot une histoire de grenouille qui se transformerait en princesse, mais "autres lieux, mêmes moeurs"). Soudain, elle se sent défaillir et défaillit effectivement. Pas même besoin d'invoquer magie et sortilege, embrasser une Anguille Géante n'est pas plaisant de toute façon...L'Anguille l'entraîne alors dans son domaine, sur l'île voisinne de Mooréa.

Ah, le lagon, reposons nous y un peu, tiens...

L'histoire n'a pas retenu le nom de la balance (quelle plante ou animal a osé parler?), mais Hiro revenant de la chasse a été plutôt fou de rage d'apprendre la nouvelle. Et un géant fou de rage, je vous laisse imaginer les dégâts. Debout et se tournant vers Mooréa, il prend des rochers et les jette en direction de l'île. Il rate le premier coup, et approfondit le lagon juste devant lui (c'est pour cette raison d'ailleurs que le lagon est plus profond en face de Toahotu, vous pouvez le vérifier par vous même). Au deuxième coup, il jette son caillou trop fort et trop loin, et l'île de Huahine, avec les remous, s'écarte encore un peu plus de Mooréa. Le troisième essais est concluant, et il fait effectivement un trou dans la montagne de Mooréa. Ca aussi c'est véridique, vous pouvez le vérifier, la montagne de Moraea a bel et bien un gros trou percé dans son sommet. Comme ça ne l'avance pas à grand chose de jeter des cailloux (mis à part à se calmer les nerfs bien sur), il prends son casse-tête et son courage à deux mains (je sais pas combien il en avait exactement, il faudra que je demande), et il va derechef chez la méchante Anguille géante. L'Anguille, il fallait s'en douter, refuse de lui rendre sa femme, qu'elle conserve lovée entre son corps doux et moelleux (c'est vrai ça, c'est doux et moelleux une anguille!). D'un coup de massue, bien placé, il décapite le monstre qui s'est dressé devant lui. Et voilà, c'est fini: l'anguille s'est métamorphosée en cocotier et depuis ce jour, les hommes ont gagné le droit de décapiter cette hydre, et de ces têtes, en boire l'eau et en manger la chaire.

Quant à Hiro et Hina, ils vécurent presque heureux et eurent beaucoup d'autres mésaventures. Comme ils étaient relativement peu attentionnés, ils ont laissés leurs organes éparpillés un peu partout dans les îles Polynésiennes, mais ce sont d'autres histoires.


Intermèdes variés (ou "l'art difficile d'être un héro parfait")

L'oralité, ce n'est pas évident. Surtout que je tiens ces légendes d'une famille interîlienne et les versions différentes vont bon cours, mais simultanément. J'ai appris hier qu'Hiro ne pouvait pas décapité l'Anguille vu qu'elle serrait Hina et que cette dernière se serait aussi mangé un coup de casse tête par la même occasion. En fait, il s'est servi d'un cheveux de sa conjointe, y a accroché un hameçon et a décapité l'horrible bête en serrant le noeud autours de son cou.


Le jour se leve...Deja?!?

Dans la même lancée, il fallait bien tenter de réparer les dégats, avec les îles qui s'étaient éloignées les unes des autres lors du lancer de rochers. Pareillement, Hiro a bien essayé d'arranger les choses mais n'a jamais pu rapprocher les îles (avec son harpon), car un de ses amis lui a fait une farce bien comique: il a imité le cri du coq, et Hiro a cru que le jour se levait et qu'il devait retourner à ses occupations quotidiennes, laissant ainsi les îles dans l'état ou il les avait laissé.

Charmant garçon. Bien vaillant, bienveillant, on peut pas dire qu'il ne lui soit pas arrivé des bricoles, dans sa vie. Laissez moi donc vous raconter l'histoire de sa mort.


La mort de Hiro (ou "comment finissent les gens trop bons")



Bestiole répugnante
et bizarre

A l'époque, à l'époque, Tahiti était vraiment invivable. Elle était infestée d'animaux dangereux ou tout simplement répugnants, de plantes vénéneuses ou tout simplement malodorantes. On y avait envoyé Hiro préparer le terrain pour la venue des hommes (du clan Pomari), qui habitaient encore l'île de Huahine en ce temps là (Notez que le nom de Huahine, à ce qu'on m'a dit, est un jeu de mot grivois qu'on pourrait délicatement traduire par "la voie de la femme"). Hiro fait donc du camping à Tahiti afin de transformer l'enfer vert en paradis terrestre. Il avait beau planter des arbres fruitiers, tout son jardin était sans cesse saccagé au matin venu.


Bestiole répugnante
et dangereuse

Un jour qu'il avait pêché du poisson (des poissons vraiment très très gros, hein, et à mains nues bien sûr!) et qu'il les avait laissé griller près du feu sur la plage, il se les est fait voler. Hum hum ?!? Tiens donc... Intrigué, il creuse un piège à même le sol, y plante des pieux taillés à la dent, le recouvre de palmes et place des noix de coco ouvertes tout autours. Il se poste derrière un rocher pour faire le guet. Au bout du même temps qu'il faut pour laisser un fût de canon se refroidir, il remue les oreilles (il est vraiment très fort, ce Hiro!) et entends une créature se rapprocher. D'ailleurs, ce n'est ni un bruit d'animal, ni un bruit humain...

Quand il se concentre à nouveau sur le piège, il est en fait nez à nez avec une créature monstrueuse. Normal, c'est un monstre. Vraiment si vous en aviez rencontré, vous seriez mort de trouille. Hiro lui-même ne s'est pas senti très à l'aise devant cette chose si... Une sorte de singe densément capillé, avec une tête aplatie et un faciès d'hippopotame, capable de cracher du feu, et nanti d'un cou extensible sur plusieurs kilomètres. Le tout de la même taille qu'Hiro, c'est à dire de la taille d'un géant. Stupéfaction. La bête le regarde avec des petits yeux intelligents, ce qui est finalement pire que si c'était le regard d'un vulgaire animal, et on voit bien les restes de poisson putréfiés coincés entre ses crocs. Hiro attrape la tête de la bestiole en enroule le cou en faisant deux fois le tour du rocher. Commence un espèce de chahut infernal, avant que ne disparaisse complètement la créature, "comme par magie".

Tahiti, c'est plein de montagnes vraiment tres hautes et glissantes!

Bizarre, vous avez dit bizarre, comme c'est étrange... Hiro n'en finit pas de se gratter la tête en cherchant une réponse à ce phénomème. A l'aide d'un bâton, il mesure la distance entre les empreintes laissées par son adversaire. D'une, il n'a que quatre doigts. De deux, il ne se déplace qu'en bondissant. C'est très intéressant, tout ça. Errant dans la forêt, Hiro se décide à gravir la montagne de l'Aorai. Du sommet, il constate avec effroi que la bête n'est pas seule mais qu'elle a au moins des milliers de congénères, et qu'ils sont tous en train de tendre un gigantesque filet tout autours du récif pour l'empêcher de s'enfuir de Tahiti. La chasse à l'homme va commencer... D'un bond, il saute dans l'océan, et se résoud à aller parler au roi Pomari et lui conter cette étrange histoire.

Le roi, l'écoute attentivement, il connaît ces démons. Il connaît beaucoup de choses, Pomari. En tant que sorcier, il a toujours des idées un peu bizarres... Il ordonne qu'on donne les enfants du clan en offrande aux monstres. On les mets effectivement sur une pirogue dans un grand panier, et on conduit l'embarcation à mi-chemin entre Huahine et Tahiti. Depuis le rivage, les créatures maléfiques tendent leur cou et se retroussent les babines... Le festin en perspective les démange! Pendant ce temps, Hiro, sur le conseil de Pomari, rentre en catimini à Tahiti, en faisant un détour bien discret, et s'en va saccager le village des monstres affairés. Quand les bestioles constatent qu'on leur a joué un vilain tour, elles tentent de rôtir les enfants en crachant du feu de toute leur gorge. En vain, car ils sont protégés par Pomari et son tambour magique. Alors elles se déchainent et font chavirer l'embarcation en soufflant aussi fort que l'a fait le grand méchant loup sur les maisons des trois petits cochons. Les enfants tombent à l'eau et sombrent dans les abysses. Le super Hiro de service intervient de son mieux: il les repêche de sa main de géant. Il les dépose délicatement dans un trou qu'il creuse sur une plage de Huahine, fait un feu, prends la fumée dans ses mains et la dépose sur les enfants pour les réchauffer, les prends délicatement un par un entre l'index et le majeur pour vider leurs ventres ronds remplis d'eau de mer. Et déshabille les biquettes sauvages pour vêtir les enfants de leur peau. Bref, il fait tout ce qu'il peut, malgré les larmes dans ses yeux, et tout et tout. Et il les sauve tous... Les monstres ont disparu depuis ce jour, sans qu'on sache trop pourquoi.

Mais l'histoire n'est pas finie, Hiro est toujours vivant. Elle continue donc ainsi: le roi Pomari perçoit un signe (les astres?), et s'en vient donner ce conseil à Hiro: "il va falloir partir. Retourne à Tahiti. Mais quoiqu'il arrive, ne revient jamais ici à Huahine...". Le géant prépare ses bagages et s'en va. Le roi fait réunir son peuple, et lui demande de le suivre à Raiatea. La moitié seulement accepte de partir. Un peu coléreux sur les bords, le mage, il se tourne vers la mer: d'un geste de la main, les poissons s'affadissent et deviennent empoisonnés ; il se tourne vers les terres: d'un geste de la main, les cocos s'emplissent de sang et les plantes deviennent vénéneuses. "Vous serez condamnés à vous manger les uns les autres, ingrats!". Et il part avec ceux qui l'aimaient (euh, qui le suivaient). Ouf, ça commence à faire long tout ça.

Celui qui boit de ca, j'ose a peine y croire...
Le jus de nono, boisson pour Hiro?

Hiro quant à lui bourlingue un peu partout, oui c'est ça: il roule sa bosse. Puis un jour, inévitablement, la mélancolie se fait trop forte, l'appel de sa terre natale devient pressant. Il repart pour Huahine. Sur place, il pêche le poisson, mais à peine l'a t'il posé à terre que les mouches qui tournent autours tombent raides sur le sol. Tiens tiens, le poisson est empoisonné. Mais que s'est il passé par ici depuis mon départ? Il part à la rencontre des gens qui sont restés. Bien sûr, Hiro est le bouc émissaire désigné: non seulement c'est à cause de lui que les enfants ont failli se noyer, mais en plus, c'est par sa faute que les gens sont condamnés à se nourrir de vers de terre et de larves pour survivre. Comme il a soif, on lui prépare sa boisson préférée, à partir des plantes les plus vénéneuses bien sûr. Il boit. Les gens le regardent. Le poison mets trois heures à se distiller dans son corps immense. Quand il réclame à manger, on lui porte des vers de terre (tu vois, on ne peut plus manger que cela!!). Il les porte à sa bouche, ses paupières sont lourdes, il s'assied à terre et s'écroule, la tête dans la mer (et ses dernières paroles furent "vraiment, j'aurai dû écouter les paroles de Pomari").

Aujourd'hui encore, on peut le voir, car Hiro s'est pétrifié: c'est une montagne sacrée de Huahine. Les vers qu'il a craché en mourrant sont devenus une embouchure de corail et sont visibles de la montagne. Il parait que toutes les photos prises sur la terre ratent à chaque fois, comme par magie, et comme pour la majorité des lieux sacrés protégés par la magie.

Copyright © Laurent Penet 2006.